Cette histoire de vie se déroule juste après la guerre, donc dans les années 1945 !
►Car si les souvenirs d'avant sont encore présents au fond de la mémoire, je préfère souvent les occulter, c'était descendre à la cave ou les fuites et courses effrénées vers les abris quand les sirènes des usines nous avertissaient des arrivées d'avions et que les obus sifflaient au dessus des maisons, c'était vivre dans une maison plongée dans la pénombre, car sur les vitres mon papa avait collé des morceaux de léger lino noir afin que nulle clarté ne filtre dehors à la nuit tombée après le couvre feu, et ne pas faire de bruit, aller se coucher parfois avec la faim tenaillant, mais ma maman faisait ce qu'elle pouvait pour huit personnes avec les tickets de rationnement !
Nous vivions sur le qui-vive pendant ces années de guerre.
_Alors je préfère débuter quand ce temps terrible fut terminé !
A la libération en 1945, la ville était en liesse comme tant d'autres dans des régions différentes.
Des phrases écrites dans un cahier où je dépose mes souvenirs.
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►Assise sur la pierre bleue du pas de la porte j'entends ma mère, qui de la cuisine me crie :
_" Ne dis pas sans cesse bonjour à tout le monde et lève toi, plus tard tu auras mal d'être toujours là, c'est froid ce sol ! "
J'en souris aujourd'hui amèrement car pauvre maman, si elle avait su à cet instant la suite de mon existence... !
C'est vrai que je regardais passer les gens, j'avais six ans et je savais l'heure d'affluence et les bonjours pleuvaient sur ces femmes et ces hommes rentrant chez eux après leur dur labeur à la filature.
Et il y avait surtout monsieur Maurice qui avait chaque jour un petit biscuit dans sa musette pour me remercier de mon bonjour pensais-je !
Petit-beurre magique dans une journée ordinaire, que je picorais le plus longtemps possible.
Le soir tombant, je revois mon père assis toujours à la même place entre la cuisinière au charbon et la table de cuisine, écoutant les infos, l'oreille collée au poste de TSF, ma mère raccommodant des piles de chaussettes et de pulls, qui de mes frères iront sur moi un peu plus tard !
Ma mère s'usait le regard à ce travail car la lumière n'était allumée qu'à la nuit tombée.
Il fallait plisser très fort les yeux pour essayer de voir.
Peut-être est-ce pour cela que mes parents avaient les leurs d'un bleu très pale.
Surtout mon père, ses yeux étaient comme délavés, si tristes aussi, comme s'ils gardaient en eux toute l'horreur des six ans de la première guerre passés loin de chez lui, aux Dardanelles et à Verdun, si jeune !
Il est parti à dix neuf ans étant né le 12 août 1895 pour faire cette saloperie de guerre !
Il parlait peu mon père, soucieux qu'il était de son inactivité quelquefois quand sa maladie prenait le dessus de son courage.
La nuit, je l'entendais tousser à cause de sa maladie des poumons rongés par les gaz ypérite dans les tranchées et je me bouchais les oreilles, tellement j'avais mal pour lui qui ne se plaignait jamais souffrant en silence de ne pouvoir nous offrir une existence comme tant d'autres !
Je sais l'affection et la fierté qu'il avait pour moi, seule fille d'une fratrie de huit enfants dont deux étaient décédés avant ma naissance.
Je n'étais pas malheureuse, dans cette petite maison, qui sentait bon la cire les jours où ma mère astiquait les meubles de bois clair, et les odeurs de savon de Marseille sortant de la grande lessiveuse bouillant sur le feu, pour faire la lessive que ma mère a toujours faite sur une planche de bois en frottant avec une brosse en crins dure.
Ce jour spécial la cuisinière au charbon chauffait plus fort que d'habitude, envoyant dans le ciel par la cheminée des volutes gris.
Le samedi jour de la grande toilette, un long baquet en galvanisé servait de baignoire, et il en fallait d'eau de rechange à chaque personne !
La maison embaumait le mélange de savon, et du bouillon de légumes qui servait de repas le dimanche midi.
Nous nous lavions dans la cuisine, chacun notre tour, les autres attendaient soit en haut sans faire de chambard, car on ne pouvait pas jouer dans les chambres, réservées pour dormir, les lits étant faits dès le matin, soit ils jouaient dans la petite cour pavée.
L'été, on se lavait dans une sorte de " cabane "en planches de bois, au toit de carton goudronné que mon père avait fabriquée.
Il n'y avait pas l'eau courante à la maison, ma mère tirait les seaux d'eau à l'avance à la pompe dans la cour et même l'hiver elle lavait le linge dehors pour ne pas salir la maison dallée de carrelage blanc et noir.
Je revois ma mère se laver les cheveux si longs si beaux, en actionnant le bras de la pompe ; plus tard ce fut moi qui fit le même geste pour me laver la chevelure sous l'eau froide.